Blog / Notre santé… et celle de nos océans

Nous avions initialement prévu de présenter dans cet article la Monaco Ocean Week, organisée chaque année par la Monaco Blue Initiative (MBI) et prévue du 23 au 27 mars. Cependant, l’événement – comme beaucoup d’autres de par le monde – a été annulé par ses organisateurs, du fait de la crise sanitaire provoquée par le COVID-19, nombre de ses participants s’étant décommandé. Du fait de son importance, nous avons malgré tout choisi de conserver le thème général de cette rencontre avortée, la préoccupation pour nos océans, tout en en modifiant l’angle.

En effet, d’après une étude publiée par Scientific Reports en 20181, le vortex de déchets du Pacifique Nord (connu en anglais sous le nom de « Great Pacific Garbage Patch » ou GPGP) serait, en réalité, beaucoup plus important que ce que l’on pensait jusqu’alors : il s’étendrait sur plus de 1,6 millions de km²2 et serait composé d’au moins 79 mille tonnes de plastique. Certains de ces déchets sont immergés à quelques centimètres de la surface seulement, tandis que d’autres le sont à plusieurs mètres. Et si l’on y trouve bien des microplastiques, leur pourcentage est en réalité bien moins élevé que ce que l’on avait supposé jusqu’alors : le rapport indique qu’il s’agit à 85% de plastiques de plus de 5cm, entre matériel de pêche abandonné (filets, notamment), bouteilles plastiques, déchets non traités et rejetés tels quels dans les fleuves et océans3, mais aussi débris charriés depuis les côtes japonaises lors du tsunami, en 2011.

Ce vortex, situé entre Hawaï et la Californie, le « 7e continent » ou « le continent de plastique » comme certains l’ont surnommé, a été découvert en 1997 par un océanographe américain, Charles J. Moore, alors qu’il rentrait en Californie après avoir achevé la Transpacifique, une course à la voile reliant Los Angeles à Honolulu.

Comment s’est formé ce vortex ? L’association 7e Continent nous l’explique : « Sous l’effet de la rotation de la Terre, les courants marins créent ce que l’on appelle des gyres océaniques. Ces énormes tourbillons tournent dans le sens des aiguilles d’une montre dans l’hémisphère Nord, et en sens inverse dans l’hémisphère Sud. Tôt ou tard, les déchets plastiques se retrouvent piégés dans ces gyres. (…) Les 5 principaux gyres se trouvent dans l’Atlantique Nord et Sud, le Pacifique Nord et Sud et dans l’océan indien. »4

Selon l’UNESCO, les déchets plastiques causent la mort de plus d’un million d’oiseaux marins et de plus de 100 000 mammifères marins chaque année. Ils nuisent par ailleurs durablement à l’environnement, ainsi qu’à l’activité économique des populations, en détruisant notamment les ressources halieutiques et en réduisant l’attrait touristique des côtes.

Des initiatives, comme The Sea Cleaners ou The Ocean CleanUp, se développent depuis quelques années et ont pour but la récupération de ces déchets plastiques flottants, grâce à de nouvelles technologies. Si le projet français (The Sea Cleaners) vise la mise à l’eau de son navire pour 2023, l’inventeur néerlandais Boyan Slat, du haut de ses 25 ans, a déjà commencé l’aventure grâce à son System 001/B.

Après plusieurs années de tests, Boyan Slat et son équipe du The Ocean CleanUp ont conçu un système autonome, qui utilise les courants marins pour capturer et concentrer le plastique. Il est composé d’une barrière flottante en forme de U, d’une profondeur de 3 mètres, qui retient les déchets, et d’une plateforme d’extraction, fonctionnant à l’énergie solaire pour l’extraction et le recyclage postérieurs des déchets. Testé en juin 2019, le System 001/B a prouvé qu’il pouvait collecter non seulement des déchets visibles, mais également des microplastiques inférieurs à 1mm. Un nouveau prototype est mis à l’essai en septembre 2019, dans le vortex de déchets du Pacifique Nord, afin de corriger des erreurs observées avec le prototype précédent. Le succès de l’opération semble être au rendez-vous.

L’idée de The Ocean CleanUp ne s’arrête pas là : Boyan Slat souhaite également s’attaquer au problème de la contamination des cours d’eau et travaille sur son projet The Interceptor, une barge autonome de 24 mètres, qui attire les déchets vers un tapis roulant, où ils sont alors répartis dans différents conteneurs. Un signal est émis lorsqu’ils sont pleins, afin que des opérateurs locaux puissent venir les vider. D’ici à 2015, The Ocean CleanUp vise le nettoyage de mille cours d’eau, parmi les plus pollués au monde et sélectionnés par des scientifiques. Deux Interceptors sont pour le moment en activité : l’un sur le Cengkareng Drain, à Jakarta (Indonésie), l’autre en Malaisie, sur le fleuve Kelang.

Le Champion de la Terre 2014 (PNUE) espère bien continuer et multiplier ses différents projets grâce au financement participatif et à ses mécènes qui, pour l’instant, se sont révélés à la hauteur de ses attentes. L’un des défis qu’il s’est aussi proposé repose en effet sur le recyclage des plastiques récupérés.

Ce genre d’initiatives, tout comme les opérations de nettoyage des plages qui se multiplient de par le monde, si elles sont admirables, ne doivent toutefois pas nous faire perdre de vue que le problème essentiel reste bien la production et la consommation du plastique en lui-même, ainsi que le manque évident de traitement et recyclage adéquat des déchets. Nettoyer ? Oui, évidemment. Mais, sans changement drastique de nos habitudes, nous sommes condamnés à incarner éternellement une version moderne de Sisyphe.

  1. Lebreton, L., Slat, B., Ferrari, F. et al. Evidence that the Great Pacific Garbage Patch is rapidly accumulating plastic. Sci Rep 8, 4666 (2018). https://doi.org/10.1038/s41598-018-22939-w 

  2. Soit trois fois la taille de l’Hexagone. 

  3. Selon l’association The Sea Cleaners, 8 millions de tonnes de déchets sont déversés chaque année dans les océans. 

  4. http://www.septiemecontinent.com/expace-science/ 

11 mars 2020
Yasmina Guira
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Yasmina est géographe. Ses voyages ont commencé alors qu’elle était toute petite, à travers les livres, et ils se sont ensuite poursuivis grâce à la découverte de la géographie en classe, puis sac au dos.